Quelle est l'histoire de la température idéale des appartements ?
Question d'origine :
Cher guichet,
J'ai entendu qu'à la fin du XVIIIe et au XIX e siècles, les promoteurs estimaient que la température idéale des appartements en ville devait se situer entre 12 et 15 °C. et on s'habillait en conséquence.
Qu'en était-il dans les siècles auparavant :ville et campagne ?
Quand le confort moderne a donné des normes habituelles de 18° C dans les chambres à coucher, 20 dans le living et 22°C dans les salles de bain, normes qu'on tend à diminuer actuellement ?
Cordialement.
Réponse du Guichet
La citation de Rabelais «l’homme assis face à la cheminée se gèle le cul et se rôtit les marrons » ou celle, au milieu du XIXe siècle, de George Sand « Le froid est mon ennemi personnel » sont on ne peut plus explicites : nos ancêtres avaient froid !
Bonjour,
L’ouvrage de Béatrice Fontanel, Nos maisons. Du Moyen Age au XXe siècle montre combien nos ancêtres subissaient le froid. Ainsi, pour ne citer que quelques extraits, l’autrice écrit,
p. 36 :
Il fait si froid dans les maisons que les gens n’y restent jamais longtemps. Nez au vent, ils sortent de chez eux à la moindre occasion. Ils se réunissent chez l’un ou l’autre ou à l’auberge, parce que ces déplacements les aident à supporter les températures les plus basses …même chez les grands seigneurs, le chauffage laisse à désirer. Pourtant les cheminées sont souvent monumentales: on peut y faire brûler des troncs entiers (...) Mais ces feux ne permettent pas vraiment de se réchauffer. Rabelais l’avait remarqué avec un vrai sens du raccourci: «l’homme assis face à la cheminée se gèle el cul et se rôtit les marrons.
Aussi de nombreux accessoires furent inventés pour vaincre le siège implacable du froid.Les bassinoires de cuivre et les bouillottes servaient à chauffer les draps glacés et humides des lits. Les moines étaient d’étranges ustensiles qui se composaient d’une carcasse en bois ou en osier destinée à maintenir les draps écartés. Un réchaud était suspendu à ce châssis, et la chaleur se répartissait à l’intérieur du lit plus uniformément qu’avec une bouillotte. Les chaufferettes posées au sol empêchaient d’avoir les pieds gelés.
(…)
Avec la diffusion du poêle, au XVIIIe siècle, s’esquissent une mutation des gestes et une réelle transformation des modes de vie qui annoncent le confort, notion en vogue au XIXe siècle. Par la suite, l’arrivée de nouveaux combustibles ou énergies – le gaz, le charbon, l’électricité, le fioul – allait peu à peu faire oublier combien les générations précédentes avaient souffert du froid.
(…)
p. 39
Il fallut du temps et bien des tâtonnements avant de parvenir aux cheminées que nous connaissons, adossées au mur, avec leur hotte et leur conduit aménagé dans la pierre pour déboucher sur le toit. Pendant longtemps, l’usage fut d’abord celui du foyer central installé sur une grande caisse de terre ou sur un pavage de briques ou de pierres permettant aux paysans de s’installer tout autour (…)
p. 40
mais ces massives et majestueuses cheminées étaient très rudimentaires (..) ainsi à Versailles, comme le rapporte la princesse Palatine le 3 février 1695, les vastes cheminées n’empêchaient pas le vin de geler dans les verres.
(…)
Malgré les progrès accomplis, la cheminée restait un médiocre moyen de chauffage.
p. 42
du XVIIe au XVIIIe siècle, deux manières de se chauffer rivalisent en Europe: celle de la cheminée, qui règne en maîtresse en France, et celle du poêle, bien connu dans tous les pays du Nord et de l’Est
p. 46
après avoir eu beaucoup de mal à s’imposer dans nos contrées, le poêle finit par pénétrer dans les maisons (…) on s’habitua vite à la chaleur mieux diffusée, plus régulière et économe de ces nouveaux petits appareils.
(…)
p. 48
Au début du XXe siècle, le gaz, l’électricité et le pétrole triompheront du charbon de terre dans les maisons des citadins (…) a la fin du XIXe siècle, des formes de chauffage collectif apparaissent (…) La chaudière à gaz et même à l’électricité fait alors son apparition, avec les radiateurs en fonte.
L'article "A quelle température nos ancêtres chauffaient-ils leur maison ? publié dans le journal belge Le Soir, cite l’historien Olivier Jandot qui relate dans son ouvrage Les délices du feu, l’Homme, le chaud et le froid à l’époque moderne :
"Au XVIIIe siècle, on commence à réfléchir à la question du chauffage car on est dans une période de crise énergétique. La rareté croissante du bois à cause des besoins de la marine et de l'industrie naissante font qu'il devient de plus en plus cher. Une partie de la population n'y a plus accès", ajoute l'historien."Pour la première fois, on réalise des mesures de températures. À l'époque, les médecins considèrent qu'une température de 12°C à 15°C chez soi est tout à fait acceptable."
Ce n'est donc qu'à partir du XXe siècle que les températures préconisées augmentent. Le seuil des 19 degrés se fixe autour des années 1970, jusqu'à monter progressivement à 20°C. Nous sommes passés du feu de cheminée au chauffage central, et notre sensibilité au chaud et au froid a forcément évolué avec.
En ces temps de restriction énergétique, divers périodiques abordent cette question dont Ouest-France. L'article Comment se réchauffait-on chez soi avant l’invention du chauffage centralisé ? reprend là aussi les écrits d'Olivier Jandot :
«Pendant très longtemps, la cheminée à foyer ouvert a été le seul moyen de se chauffer dans les maisons.Et même avec une grosse quantité de bois, on arrive à faire monter la température autour de 25°C dans un cercle de deux à trois mètres. Mais dès qu’on s’éloigne, il ne fait que 12°C dans la pièce», poursuit l’historien.
«Et lors des grandes vagues de froid, tout le monde lutte pour maintenir des températures positives à l’intérieur des maisons. On retrouve les mêmes récits à plusieurs siècles d’intervalle de tonneaux qui éclatent dans les caves, de pain gelé dans la cuisine qu’on doit découper à la hache… Et cela touche toutes les classes de la société, car les moyens techniques pour bâtir les habitations font que les logements sont très mal isolés.»
Même les rois souffrent du froid. Henri IV raconte qu’au cours de l’hiver 1608, il se réveille le matin dans son lit avec la moustache pleine de givre. On sait aussi qu’au cours de l’hiver 1709, le vin gèle dans les carafes à la table du roi Louis XIV à Versailles!
(...)
«Et cette température reste la norme pendant plus d’un siècle, avant d’augmenter peu à peu pour atteindre finalement 20°C au début des années 1970, à l’époque où l’énergie devient moins chère. Et depuis, la température fluctue entre 19 et 20°C en fonction du contexte énergétique…»
Selon l’historien, nos rapports au froid et à la chaleur, s’ils sont en partie physiologiques, sont également une construction culturelle
Le Manuel Général du 23 mai 1891 est une bonne illustration de ces propos puisque dans la partie consacrée au chauffage des appartements, il mentionne :
Peu de questions intéressent un aussi grand nombre de personnes que celle du chauffage des appartements; il nous faut en effet partout dans notre France, un ou deux mois dans le midi, quatre à cinq mois dans le nord, chauffer nos salles habitées pour y maintenir une température moyenne de 10 à 15 degrés pendant toute la saison d’hiver où la chaleur solaire nous fait défaut.
Concernant les conditions à la campagne, nous vous laissons lire l'article de Jean Pitié, Pour une géographie de l'inconfort des maisons rurales (Norois, n°63, Juillet-Septembre 1969. pp. 461-490).
Pour compléter ces premières informations, vous pourriez écouter l'émission Cols roulés et chauffage à 19°, avons-nous toujours été obsédés par le froid? diffusée sur France Radio. Nous vous invitons également à consulter l'ouvrage L'énergie à tous les étages : Autour d'Alain Beltran.
Bonnes lectures au coin du feu.