En psychologie, le rêve est il un avertissement lancé au sujet ?
Question d'origine :
Bonjour,
En psychologie, le rêve est il un avertissement lancé au sujet ?
Je vous remercie par avance du temps que vous m'accorderez
Belle journée à vous
Cordialement
Réponse du Guichet
Votre question s’adosse à une autre interrogation plus générale : pourquoi rêve-t-on ? A ce sujet, on pourrait indiquer très schématiquement qu’il existe deux types de réponses, deux grandes traditions d’interprétation des rêves : celle qui considère que le rêve est tourné vers l’avenir – il dit quelque chose de prémonitoire - et une autre, qui permet d’interpréter le rêve comme une résonance du passé du rêveur.
Or, c’est d’abord cette première "tradition" qu’évoque votre question. Comme le rappelle le psychanalyste Fethi Benslama, « pendant des millénaires les humains ont cru que les rêves étaient envoyés par les dieux et les démons, qu’ils étaient adressés intentionnellement au rêveur et que ces rêves pouvaient leur annoncer l’avenir. Les Anciens distinguaient les rêves véridiques, destinés à mettre en garde le dormeur par rapport à ce qui allait lui arriver, et les rêves trompeurs qui peuvent le mener à sa perte s’il y croit ».
Donc, pendant fort longtemps, le déchiffrement des rêves a relevé d’une "science", l’oniromancie. Et pour soutenir cette entreprise, ont fleuri des clés des songes, qui sont comme des guides, des manuels d’interprétation du sens des rêves. Le plus ancien de ces textes est vraisemblablement celui d’Artémidore d’Ephèse, La clef des songes : onirocriticon.
Artémidore y distingue les « songes théorématiques et allégoriques et requérant, le cas échéant, un interprète, des rêves naturels n’ayant pas de valeur prédictive, distinction qui perdure dans l’histoire occidentale ». Pour en savoir plus sur la longue histoire de ce genre d’écrits et de pratiques, nous vous recommandons l’ouvrage Clés des songes et sciences des rêves, de l’Antiquité à Freud, sous la direction de Jacqueline Carroy et Juliette Lancel ; livre d’où est tirée la citation ci-dessus.
Mais la « science des rêves » va être bouleversée à l'aube du XXe siècle lorsque Sigmund Freud publie L’interprétation du rêve. S’il n’est pas le seul scientifique à s’intéresser à l’inconscient et au rêve, sa proposition fait date. Car les neuroscientifiques se penchent moins sur le "pourquoi" que sur le "comment" du rêve et pensent, selon Tobie Nathan, « que le rêve ne véhicule aucun message et qu’il convient seulement de décrire les modalités de sa survenue ». Freud reste persuadé qu’une interprétation est possible. Cependant, la perspective quant au sens des songes change radicalement. Comme le précise Jacques Montangero, « Freud a postulé que les rêves avaient pour fonction de fournir une satisfaction symbolique à des désirs refoulés », faisant du rêve, la « voie royale » d’accès à l’inconscient. Le rêve nous dit quelque chose non de notre avenir, mais de notre passé. « Dans l’inconscient, rappelle Benslama, rien n’est oublié des désirs que nous avons éprouvés pendant notre enfance ».
Le rêve, de ce point de vue, peut nous avertir, moyennant interprétation, des désirs que nous gardons refoulés, comme mis à l’écart dans notre psychisme. Ces derniers disent quelque chose d’une part de nous-même restée dans l’ombre. « C’est là la puissance du rêve : grâce à sa créativité avec le langage des mots et des images, il nous permet d’accéder aux significations les plus cachées de notre intimité psychique, lesquelles ont fait ce que nous sommes au cours du temps » (Fethi Benslama).
En guise de conclusion, citons un peu longuement Tobie Nathan dans sa Nouvelle interprétation des rêves : « Il est bien des raisons de te soucier de ton rêve. Le rêve te permet de fracturer la banalité, de transformer ton point de vue, de modifier la pensée que tu avais de toi-même et des autres […]. Quiconque se soucie d’être lui-même, d’avoir une pensée propre, d’éviter de répéter les slogans de la propagande et de la publicité, trouvera ses ressources dans son rêve […]. Ton rêve peut aussi se révéler utile, notamment dans les moments de grande difficulté qu’il arrive à chacun de traverser. Il peut te mettre en garde contre les dangers auxquels tu n’as pas prêté attention dans la vie éveillée. Tel est souvent le cauchemar, qui n’est pas une erreur née de la frayeur, mais une perception des parties cachées de l’agression ».
Pour aller plus loin :
- Bernard Lahire, L’interprétation sociologique des rêves, aux éditions de La Découverte. « Ce que propose Bernard Lahire ici, c'est d'entrer dans la logique même de sa fabrication et de relier les rêves aux expériences que les individus ont vécues dans le monde social ». L’étude du rêve « permet de voir frontalement ce qui nous travaille obscurément, et de comprendre ce qui pense en nous à l'insu de notre volonté ».
- Sur France culture, l’épisode 3 de la série "Histoire des rêves" dans l’émission la Fabrique de l’histoire. « Oracles, divinations, révélations: les rêves ont longtemps été pensés comme les messagers de l’avenir, avant d’être reconnus comme outils de l’inconscient pour vivre le présent ».
- Isabelle Arnulf (neurologue), une fenêtre sur les rêves: neurologie et pathologie du sommeil, chez Odile Jacob.
Bonnes lectures !
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