Existe-t-il des statistiques sur la criminalité chez les mineurs ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je m'intéresse au sujet "Adolescents et criminels" depuis peu. En 2020-22, RMC Story a diffusé 24 épisodes avec en titre de complément 'Comment-ont-ils basculé ?' La page d'accueil sur Internet, fait état de plus de 90 000 mineurs jugés au pénal chaque année.
Je souhaiterai savoir s'il existe des chiffres consolidés concernant les crimes commis par des mineurs au cours des dernières années et quelles sont les caractéristiques générales des crimes contre les personnes. Enfin, je voudrais aussi savoir à quelle moment ce sujet a fait son apparition dans l'actualité.
Merci bien de votre aide.
Réponse du Guichet
Les diverses institutions semblent s'intéresser et étudier la délinquance juvénile depuis les années 1990. Les chiffres, controversés et selon certains protagonistes peu fiables, montrent néanmoins des tendances : une forte proportion chez les mineurs d'atteintes aux personnes et de trafic de stupéfiant.
Bonjour,
En guise d’introduction, nous citerons l’article de Laurent Mucchielli qui relève l’intérêt porté à la délinquance juvénile et ce depuis les années 1990 :
La délinquance juvénile, son augmentation supposée, sa violence réputée croissante et son rajeunissement présumé se sont imposés comme des thèmes centraux dans le débat public et dans l’agenda politique depuis le début des années 1990, en France comme dans la plupart des autres pays européens. Au point de constituer une large peur collective suscitant parfois même de véritables «paniques morales» lorsque médias, politiciens et groupes de pression joignent leurs discours et leurs actions pour dénoncer les mœurs des jeunes (surtout de ceux issus des milieux populaires) et tenter de les «civiliser»...
Source : Laurent Mucchielli, «L'évolution de la délinquance des mineurs. Données statistiques et interprétation générale», Agora débats/jeunesses, 2010/3 (N° 56), p. 87-101.
Ainsi, au Sénat, la commission des Lois dresse un rapport d’information, prévenir – la délinquance des mineurs – éviter la récidive qui explique :
Vingt ans après le rapport de la commission d’enquête sénatoriale Délinquance des mineurs : la République en quête de respect, les connaissances sur le sujet continuent à faire défaut tout comme la coordination des multiples acteurs en ce domaine.
La question de la politique menée en matière de délinquance des mineurs se pose d’abord sous l’angle de la prévention, dont la lutte contre le décrochage scolaire est un axe structurant. En effet, dans les parcours des jeunes délinquants, tels qu’ils peuvent imparfaitement être reconstitués, figurent souvent fragilités sociales et rupture scolaire.(…)
1. LA DÉLINQUANCE DES MINEURS : UNE CONNAISSANCE IMPARFAITE D’UN PHÉNOMÈNE MULTIPLE
A. CE QUE NE DISENT PAS LES CHIFFRES DE LA DÉLINQUANCE DES MINEURS
• Une perte d’intérêt des pouvoirs publics à retracer l’évolution de la délinquance des mineurs : les rapporteurs ont pu constater que, faute de commande politique, aucune photographie complète et actuelle de ce phénomène n’est disponible. Il n’existe de statistiques fiabilisées des mineurs mis en cause par les forces de sécurité que depuis 2016, et elles posent toujours plusieurs difficultés(…)
B. CE QUE DISENT LES CHIFFRES DE LA DÉLINQUANCE DES MINEURS
• Des chiffres contrastés du ministère de l’intérieur dont aucune réelle conclusion ne peut être tirée.
Si le ministère constate, sur la période 2016-2019, une stabilité globale des mineurs mis en cause par les forces de sécurité, celle-ci s’explique par une hausse des atteintes aux personnes, compensée par une baisse des atteintes aux biens. Ainsi, les coups et blessures sur personnes de moins de 15 ans ont augmenté de + 12,4 %, les violences sexuelles sur majeurs de + 42,8 % et sur mineurs de + 28,3 %.
Les infractions à la législation sur les stupéfiants représentent également une part importante des faits délictueux commis par les mineurs. En 2021, les 13-17 ans
concentrent 20 % de l’ensemble des mis en cause pour trafic, contre 6 % de la population nationale, en hausse depuis 2016. Leur nombre a en outre augmenté de 35 % sur la même période, alors même que ce phénomène est largement sous-estimé dans les statistiques.
Dès lors, si la proportion des mineurs impliqués dans l’ensemble de la délinquance n’est que de 20 % en moyenne aujourd’hui, ils sont surreprésentés dans la commission
de certaines infractions. Ainsi, s’ils représentent jusqu’à 46 % des mis en cause pour violences sexuelles sur mineurs, 40 % des vols violents ou 30 % des coups et blessures volontaires sur moins de 15 ans, ils ne constituent qu’environ 21 % de la population.
De surcroît, une publication récente met en évidence une nette augmentation des mineurs mis en cause sur une longue période : ils étaient 98 864 en 1992, 180 129 en 2002 puis 216 221 en 2010. Leur nombre a ensuite diminué, oscillant entre 190 000 et 200 000 selon les années, pour atteindre 190 127 en 2019. Malgré le caractère officiel de cette publication, le ministère de l’intérieur ne valide pas ces statistiques.Selon le ministère de l’intérieur, il est impossible de connaître de manière fiable l’évolution globale
(…)
Le traitement des affaires mettant en cause des mineurs par les parquets se caractérise par une forte hausse des mesures alternatives aux poursuites : 34,5 % des affaires
poursuivables en 2000, contre 55 % en 2019, des taux de 58 % étant régulièrement atteints.
Par comparaison, elles ne concernent que 40 % des affaires poursuivables pour les majeurs en 2019. En conséquence, le taux de poursuites des mineurs – 37 % des affaires poursuivables en 2019 – est globalement inférieur de dix points à celui de l’ensemble des affaires.
Il en résulte une diminution des condamnations prononcées à l’encontre des mineurs : on note une chute de près de 14 375 condamnations de mineurs entre 2007 et 2019, ce qui ne veut pas dire pour autant que la délinquance diminue.
Liberation vérifie les propos d'Eric Dupont-Moretto sur la délinquance des mineurs en effectuant un profond travail d'investigation :
ll en ressort une augmentation du nombre total de mises en cause de mineurs entre 1996 et 2010, de 150000 à 226000. Puis une légère décrue, avant une remontée: en 2018, des mineurs ont été suspectés dans des affaires par la police et la gendarmerie à 209000 reprises. Une tendance haussière bien supérieure à la hausse de la population jeune sur la période.
Notons que tous les groupes d’infractions ne suivent pas la même évolution: alors que le nombre de mises en cause de mineurs pour atteintes aux biens a baissé de 20% de1996 à2018 (d’environ 100000 à 80000 suspicions de mineurs), celles pour atteintes aux personnes ont, elles, grandement augmenté en vingtans (de24000 à57000), principalement du fait des violences physiques non crapuleuses (coups et blessures volontaires ; violences, mauvais traitement et abandons d'enfants) et des violences sexuelles. Cette augmentation est discontinue: la courbe croît jusqu’à 2009 avant de se tasser.
Quant aux infractions à la législation sur les stupéfiants où des mineurs sont suspectés, elles triplent presque sur la période : 30000 mises en cause de mineurs en 2018.
Ces évolutions, qu’il faut interpréter avec prudence, doivent être mises en perspective avec l’évolution de la délinquance constatée en général. On constate alors que les mineurs représentent une part stable, voire en léger recul, de l’ensemble des suspicions émises par les forces de l’ordre. Cet ensemble passe de 675000 mises en cause en 1996 à près de 922000 en 2018 (là encore, l’augmentation est bien plus rapide que celle de l’ensemble de la population).
Ainsi, pour 100 mises en causes en 1998, plus de 22 visaient des mineurs. Deux décennies plus tard, il n’y en a plus que18, selon les chiffres compilés par l’ONDRP.
Cette baisse est nourrie par la diminution de la part de mineurs dans l’ensemble des mises en cause pour atteintes aux biens (de 35% à 30% entre 1998 et 2018) et, dans une moindre mesure, pour atteintes physiques volontaires (de 22% en 2000 à 18,3% en 2018). Ces deux catégories d’infractions demeurent toutefois celles où l’on retrouve le plus de mineurs parmi les mis en cause.
Ces baisses conjointes sont contrebalancées, dans des proportions moindres, par une légère hausse des suspicions de mineurs parmi les «infractions révélées par l'action des services» (dont +4points pour les infractions à la législation sur les stupéfiants) ou les «autres infractions». Le nombre de mises en cause de mineurs dans des affaires d'escroquerie et d'infractions économiques et financières est stable et demeure particulièrement faible (au maximum7,9% des suspicions, mais plus souvent autour de4%).
Sur une période plus récente, de2009 à 2019, le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) «constate une diminution du nombre de mis en cause mineurs notamment pour les atteintes aux biens et modérément pour les atteintes aux personnes».
Pour compléter ces premières données, vous pourriez consulter les documents produits par le ministère de la Justice dont les références statistiques 2019 sur l'activité des juridictions pour mineurs.
Le ministère de l'Intérieur fournit aussi des statistiques sur la délinquance 2022 et un rapport sur les années 2012-2019.
Nous vous laissons aussi consulter les documents présentés par l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales sur data.gouv.fr.
Enfin, si le sujet vous intéresse, nous vous suggérons la lecture de l'ouvrage suivant :
Le droit chemin : jeunes délinquants en France et aux Etats-Unis au milieu du XXe siècle / Guillaume Périssol, 2020 : "Une étude comparative de la délinquance juvénile et des systèmes de justice des mineurs passés et actuels, en France et aux Etats-Unis. L'auteur interroge à travers cette histoire la construction de la norme et du contrôle, notamment en analysant, grâce aux archives des tribunaux pour enfants de Boston et de Paris, les moyens employés pour remettre les jeunes jugés déviants dans le droit chemin".