Pourquoi en Occident le jaune est associé à la lâcheté et à la duplicité ?
Question d'origine :
Pourquoi en Occident le jaune est associé à la lâcheté et à la duplicité ?
Réponse du Guichet
Si le basculement du jaune vers une symbolique négative peut être daté du milieu du Moyen-Age, les raisons n’en sont pas évidentes. Si l’or se charge des bons aspects de la couleur, on ne sait pas vraiment pourquoi ce sont le mensonge et la tromperie plutôt que d’autres aspects négatifs, que prend en charge le jaune.
Bonjour,
Le spécialiste des couleurs (entre autres) Michel Pastoureau l’explique dans de nombreux articles, à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes ou de la parution de son livre Jaune : histoire d'une couleur, qui vous apprendra tout sur cette couleur mal-aimée.
4e de couverture :
"Aujourd'hui, en Europe, le jaune est une couleur peu présente dans la vie quotidienne et guère sollicitée par le monde des symboles. Il n'en a pas toujours été ainsi. Les peuples de l'Antiquité voyaient en lui une couleur presque sacrée, celle de la lumière, de la chaleur et de la prospérité. Les Grecs et les Romains lui accordaient une place importante dans les rituels religieux, tandis que les Celtes et les Germains l'associaient à l'or et à l'immortalité. Le déclin du jaune date du Moyen Âge qui en fait une couleur ambivalente. D'un côté, le mauvais jaune, celui de la bile amère et du soufre démoniaque: il est signe de mensonge, d'avarice, de félonie, parfois de maladie ou de folie. De l'autre, le bon jaune, celui de l'or, du miel et des blés mûrs: il est signe de pouvoir, de joie, d'abondance.
Toutefois, à partir du XVIe siècle, la place du jaune dans la culture matérielle ne cesse de reculer. La Réforme protestante, la Contre-Réforme catholique, plus tard les «valeurs bourgeoises» du XIXe siècle le tiennent en peu d'estime. Même si la science le range au nombre des couleurs primaires, sa symbolique reste équivoque. De nos jours encore, le jaune verdâtre est ressenti comme désagréable ou dangereux car il porte en lui quelque chose de maladif ou de toxique; au contraire, le jaune qui se rapproche de l'orangé passe pour tonique, joyeux et bienfaisant, à l'image des fruits de cette couleur.
Abondamment illustré, Jaune est le cinquième ouvrage d'une série commencée en 2000 et consacrée à l'histoire des couleurs en Europe, de l'Antiquité à nos jours. Il fait suite à Bleu. Histoire d'une couleur (2000), Noir. Histoire d'une couleur (2008), Vert. Histoire d'une couleur (2013) et Rouge. Histoire d'une couleur (2016).»
Voir aussi :
Michel Pastoureau: le jaune est la couleur des trompeurs, mais aussi des trompés, Libération, 12/05/2018 :
"Toutes les couleurs ont des aspects positifs et négatifs à la fois. En général, cela s'équilibre à peu près. Le jaune était extrêmement positif pendant l'Antiquité, grecque et romaine, et pour les peuples de la Bible. C'était une couleur valorisée, signe de chaleur, de lumière, de joie. C'est au Moyen Age central qu'il commence à se dévaloriser, pour des raisons du reste pas très nettes. En gros, l'or prend sur lui tous les bons aspects de la couleur et ne laisse au jaune stricto sensu que les mauvais. A partir du XIIe siècle, l'or devient peu à peu le bon jaune, signe de richesse, de beauté, de prospérité. Il est associé au culte divin et renvoie au sacré. Il ne reste au jaune ordinaire que les aspects négatifs : mensonge, hypocrisie, trahison. On pourrait dire que le responsable du «mauvais» jaune, c'est l'or. Cette symbolique négative du jaune traverse les siècles et perdure jusqu'à nos jours. Aujourd'hui, comme aux XVIIe ou XIXe siècles, le jaune incarne le mensonge et la tromperie. Au reste, il s'agit aussi bien des trompeurs (des «casseurs de grève», par exemple) que des trompés (les maris cocus au théâtre).»
Michel Pastoureau: choisir le jaune comme emblème est à la fois courageux et dangereux, Les Inrocks, 06/12/2018
Le jaune, tous les attributs de l’infamie, L’Express, 02/08/2004
«Histoire d’une couleur»: jaune, couleur mal aimée, Le Devoir, 14/12/2019
Des proscrits aux «gilets jaunes», la couleur des mal-aimés, RFI, 23/07/2021
Un an des « Gilets jaunes » : « La politique a soigneusement évité le jaune pour sa symbolique négative », souligne l’historien Michel Pastoureau, 20 minutes, Thibaut Le Gal, 15/11/2019 :
«A la fin du Moyen-Age, le mauvais jaune devient plus fréquent. Une des raisons est que l’or a pris sur lui tous les aspects positifs de la couleur jaune. On voit alors dans une même image, une distinction entre le doré et le jaune. Le pauvre jaune est alors chargé des aspects mauvais de la couleur, des vices. L’autre piste est la médecine : le jaune c’est la bile, et l’urine, c’est-à-dire la colère et l’impureté, deux humeurs qui ont mauvaise presse et contribuent à le dévaloriser. Dans le même temps, le rouge est assimilé au sang, à la vie, au Christ. Le jaune devient le symbole de l’envie, de la jalousie, des petits vices, du mensonge, de l’hypocrisie et de la trahison. Judas, traître par excellente, est presque systématiquement vêtu d’une robe jaune.»
Le petit livre des couleurs, Michel Pastoureau, Dominique Simonnet :
«Nous ne pouvons que constater que, vers le milieu de la période médiévale, partout en Occident, le jaune devient la couleur des menteurs, des tricheurs, mais aussi la couleur de l’ostracisme, que l’on plaque sur ceux que l’on veut condamner ou exclure, comme les juifs.» p. 82
«L’expression française «jaune» pour désigner un traître remonte au XVe siècle, et elle reprend la symbolique médiévale. Quant au «rire jaune», il est lié au safran, réputé provoquer une sorte de folie qui déclenche un rire incontrôlable. Les mots ont une vie longue, qu’on ne peut éliminer. Qu’on le veuille ou non, le jaune reste la couleur de la maladie : on a encore le «teint jaune» surtout en France, où l’on connaît bien les maladies du foie.» p. 86
Voir aussi le chapitre Jaune p. 69 de Psychologie de la couleur, effets et symboliques, Eva Heller.
Bonnes lectures !
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