Combien de victimes ont fait la période révolutionnaire et impériale (1789 - 1815) ?
Question d'origine :
Cher guichet,
Il est difficile de savoir combien il y a eu de victimes la période révolutionnaire (1789-99)et du Consulat et l'Empire (1799-1815).Est-il possible d'en savoir plus ? J'aimerai avoir une fourchette néanmoins en France et dans les pays annexés pour les deux périodes.
Par exemple les guerres de l'Ouest d'après Taine aurait fait 500 000 victimes mais sans trop le démontrer.
Pour la période du Consulat et de l'Empire, j'ai lu 900 000 victimes.
Bien cordialement.
Réponse du Guichet
En France, le bilan humain est estimé à 1 117 000 morts causés par les guerres et les épidémies pour la période de allant de 1792 à 1815 soit 3,2 % de la population.
Bonjour,
Comme vous l’avez justement souligné il est difficile de faire le bilan des pertes (plutôt que « victimes ») qu’ont pu engendrer la Révolution française et l’Empire d’autant plus qu’il s’agit d’une période courte mêlant à la fois des grands soulèvements meurtriers, des guerres civiles additionnées d’une guerre européenne extérieure... A noter également, il est difficile d’estimer un nombre de pertes du côté civil par manque de sources primaires notamment concernant la période 1789-1792, soit la période d’avant Terreur. C’est un champ de recherche qui n’a pas encore été vraiment exploité du côté des recherches historiques.
Néanmoins, les historiens se sont attelés à donner un « ordre de grandeur » avec de grandes marges d’erreurs pour cette période et celle de l’Empire en se basant sur les chiffres recueillis lors de grands affrontements, batailles. Il s’agit donc de chiffres basés exclusivement sur les recensements de mort des soldats, des engagés et des disparus (hors déserteurs qui ne sont pas comptés la plupart du temps). Notons que cela peut exclure les morts qui ont succombé de leurs blessures, d’accidents et autres maladies.
Si Hippolyte Taine au XIXème siècle dans ses Origines de la France contemporaine (1875) estime le nombre de pertes à un peu plus de 3 millions pour à la fois les guerres révolutionnaires et celles de l’Empire (dont 1,7 millions rien que pour les guerres napoléoniennes), ces chiffres sont toutefois grandement remis en question aujourd’hui.
Déjà car d’une part, si l’on compte le nombre de soldats mobilisés soit
- 1,35 millions sous la Révolution,
- 1,47 millions sous l’Empire
- Plus de 800 000 de rappelés
Alors le nombre de morts équivaut à celui des mobilisés ! Le calcul est donc erroné.
D’autre part, Hippolyte Taine fut très marqué par la défaite de 1870 et quelque peu traumatisé par la répression de la Commune de Paris ce qui l'amena à avoir une vision hostile de la Révolution française... L’historien Alphonse Aulard, pionnier dans les études de la Révolution française, démontra nombres d’incohérences dans l’ouvrage de Taine. Ces mêmes inexactitudes furent de nouveau relevées dans les années 1980 par le grand historien spécialiste de la période Jacques Godechot (notamment dans cet article).
Nous pouvons, dans ce contexte, également remettre en cause les chiffres de Taine (qui sont très élevés) concernant les guerres de l’Ouest. Les chiffres exacts de ces guerres ou du moins de la Vendée sont depuis longtemps en débat même si la majorité des historiens s’accordent pour confirmer qu’il s’agit de pertes numériques considérables. Un consensus historique estime aujourd’hui le bilan humain autour de 150 000 à 200 000 morts (ou disparus) dans les troubles survenus dans la région entre 1792 et 1795 ce qui corresponds à ¼ de la population vendéenne totale.
Ce chiffre, considérable, est au cœur de plusieurs polémiques depuis l'origine de la guerre en 1794 autour de la question de l’existence d’un « génocide vendéen ». Elles ont été accentuées par le Bicentenaire de la Révolution en 1989 où l’objet de la Vendée s’est constitué comme un enjeu mémorial majeur. Cette hypothèse, aujourd’hui admise communément comme fausse, a largement été réfutée par l’historien spécialiste de la question Jean-Clément Martin. Elle prenait en partie source dans l’ampleur importante du nombre victimes mais aussi de la brutalité des violences commises. Toutefois, le caractère « systématique » et « volontaire » propre à la notion de génocide ne peut être prouvé dans le cas de la guerre de Vendée.
L’historien nous dit à ce propos dans Sur la guerre de Vendée et le "concept de génocide" publié en 2018 concernant une proposition de loi sur la reconnaissance de l’État dans ledit « génocide vendéen » :
« La réalité des massacres, des pillages, des viols et des destructions est tout à fait avérée et très documentée. Des exemples bien connus en témoignent notamment à Nantes ainsi qu’à Angers pendant l’hiver 1793-1794, la liste a été établie depuis le XIXe siècle des nombreux villages qui ont été dévastés à la suite du passage des soldats républicains, y compris des villages ayant manifesté leur attachement à la République et dont les habitants sont venus, maire en tête, au-devant des colonnes. La systématisation de ces actes, qui doivent recevoir la qualification de crimes de guerre, est cependant douteuse. Dès l’été 1793 des généraux républicains s’étaient plaints de la médiocre qualité de leurs subordonnés et s’étaient opposés à de telles pratiques. Dans l’hiver, les actes de barbarie sont permis dans certaines colonnes plus que dans d’autres, selon les personnalités des officiers. Dans l’été 1794, quelques-uns de ces officiers seront poursuivis et jugés pour ces faits par des cours de justice de la République. La Convention n’est pas intervenue directement, sauf dans le cas de Carrier rappelé à Paris dès février 1794, sur une injonction lancée par Robespierre, au moment où d’autres représentants en mission responsables de répression violente (Fouché, Barras, …) devaient aussi rendre compte de leurs actes. Les destructions n’ont jamais été menées contre une population « pour ce qu’elle était », elles ont été incohérentes, aléatoires, liées à la personnalité de tels généraux. Certains représentants en mission ont même réussi à en entraver la marche, parfois simplement pour affirmer leur propre pouvoir.»
Quant aux chiffres de l’Empire, ils furent initialement comptés à hauteur d’1,7 million en 1830 pour la période 1805-1815 par le comte d’Hargenvilliers qui fut général d’Empire. Ce même chiffre fut repris par Taine. Cependant, les historiens Gaston Bodart et Albert Meynier les remirent en question dans les années 1930 en montrant qu’ils avaient été surévalués puisque le nombre de morts était quasiment égal au nombre de mobilisés.
L’étude démographique sérieuse de Jacques Houdaille, qui s’appuya sur les registres des matricules de l’armée, permis d’établir de nouveaux chiffres fiables et qui sont admis aujourd’hui comme consensus. On note alors que 439 000 soldats et officiers français sont morts des combats ou à l’hôpital auxquels il faut ajouter 706 000 pertes incertaines (prisonniers, déserteurs, etc.). Parmi ces 706 000 hommes, Houdaille estime que 300 000 à 350 000 hommes seraient en réalité rentrés après 1815 chez eux alors qu’on les croyait morts sans être signalés à l’administration militaire à leur retour.
De fait, le bilan humain s’élève à une fourchette de 900 000 à un million de morts sur les 15 années de conflit. Thierry Lentz, grand spécialiste de l’Empire et directeur de la fondation de Napoléon depuis 2000, les confirme à plusieurs reprises et notamment Point d'histoire. Bilan humain des guerres napoléoniennes.
Si ces chiffres ont été réévalués, ils restent bien évidement importants... Cette baisse fut confirmée par des études sur de plus petites échelles comme celles de batailles. Comme par exemple, celles de Danielle et Bernard Quintin sur la bataille d’Eylau ou d’Austerlitz. Ainsi, ils montrèrent qu’il y eu plutôt 1 500 morts à la bataille d’Austerlitz contre les 3000 à 5000 originellement admis. Ces études sur les pertes permirent de montrer qu’elles étaient d’avantage dues au manque de soins et à la médecine de l’époque plutôt qu’à une mort immédiate sur le front.
Enfin, les chiffres les plus récents sur la période 1792-1815 ont été regroupés dans l’Infographie de l'Empire napoléonien publiée en octobre 2023 et réalisée par les historiens Vincent Haegele et Frédéric Bey. En regroupant les dernières études, ils estiment le bilan humain à 4,5 millions de morts (dont environ 3 135 000 militaires et 1 365 000 civils) pour l'ensemble des pertes causées en Europe par les combats et les épidémies durant la période allant de 1792 à 1815.
Pour la France, sont dénombrés environ 1 117 000 morts causés par les guerres et les épidémies soit 3,2 % de la population dont 450 000 militaires tués de la période révolutionnaire allant de 1792 à 1802 ainsi que 460 000 militaires tués sous l’Empire de 1803 à 1815.
En détail, sont précisés : 40 000 morts dans la marine de 1792 à 1815 ainsi que 220 000 civils tués de 1792 à 1815 (dont 170 000 pendant la guerre de Vendée).
A propos des pays étrangers annexés par la République et l’Empire et devenus départements français, on compte alors 170 000 morts dont 90 000 militaires et environ 80 000 civils.
Nous vous proposons une courte bibliographie sur les différents thèmes abordés :
- Infographie de la Révolution française de Jean-Clément Martin, 2021.
- Infographie de l'Empire napoléonien de Nicolas Guillerat, Vincent Haegele, Frédéric Bey, 2023.
- Violence et Révolution : essai sur la naissance d'un mythe national de Jean-Clément Martin, 2006.
- Guerres et armées napoléoniennes : nouveaux regards sous la direction d'Hervé Drévillon, Bertrand Fonck et Michel Roucaud, 2013.
- Vivre la Grande Armée : être soldat au temps de Napoléon de François Houdecek, 2023.
- Les Vendéens de Jean-Clément Martin, 2022.
- Les colonnes infernales : violences et guerre civile en Vendée militaire, 1794-1795 d'Anne Rolland-Boulestreau, 2015.
En vous souhaitant de bonnes lectures ! :)